C’était le soir, l’automne . . . l’automne et sa brume,
C’était l’ensorcellante, la lourde heure qui fume!
C’était cette saison que j’ai chantée toujours,
infatigablement, avec un long amour . . .
J’errais longtemps, ravi, dans ce parc qui depuis
mon enfance a troublé, et parfume ma vie.
Ce grand jardin de feuilles et d’eaux inextricables
a, pendant tout l’automne, un parfum qui m’accable.
Ces chers canaux qui glissent et traînent lentement
des marronniers géants Por large et transparent,
ils gardent, depuis des années, dans leur vase
les silences et les battements d’aile de l’extase.
Ce soir, des canaux, toujours pleins de surprises,
un fantôme a surgi qui me hante et me grise.
Un corps s’est levé des eaux, presque fluide,
un visage, d’un charme attirant et morbide,
m’a souri tout au fond de la brume, un instant,
— un vague sourire d’un crépuscule blanc . . .
Un peu de vent, chargé d’humides odeurs malsaines,
glissant, par les narines et la bouche, dans mes veines,
autour de ce visage, de ce corps s’est enroulé —
. . . et le grand sourire blanc s’est, soudain, effacé.
Le silence revenait. J’étais seul dans le soir,
s’obscurcissant jusqu’à ce qu’il fût presque noir.
Je suivais les allées qui longuement serpentaient
à côté des canaux que les brumes noyaient.
Je gardais dans mon âme le souvenir inquiétant
des yeux douloureux entrevus un instant.
Ils m’étaient inconnus . . . pourtant il me somblait
que ce fut pour entrevoir ces yeux que je quittais
ce soir beau d’automne ma chambre solitaire
qui m’était devenue étouffante comme une serre.
De parfums corrosifs ma chambre était chargée.
Dans mes sens une atroce brulûre restait.
Longtemps, pendant des heures et des heures, j’avais lu
des vers . . . jusqu’ à ce que le livre se tût.
Des vers saturés d’étés loin de mon Nord;
où l’accablante joie ressemblait à la Mort.
Des vers odorants d’un dangereux mystère:
celui du sang, des yeux, des lèvres, de la terre.
Des vers où partout s’avoue cette langueur
ardente, et cette ineffable douleur,
et, surtout, cette sourde, inexplicable peur
où la joie, fatiguée, sanglotante se meurt . . .
Vraiement, c’est votre bouche . . . votre bouche que j’ai vue
sourire au crépuscule si pauvrement et nue . . .
Votre âme, il me semble que je Pai bien connue.
Chaque fois que reviendra cette étrange saison,
qui brûle au bord de ce gouffre où s’en vont
les choses qui furent charnelles et gonflées,
chaque fois que je me sentirai las et troublé
par cette odeur de mort se mêlant à la vie,
— je songerai à vous, à votre âme, à vos cris
d’une joie qui se crispe, d’angoisses et de fièvres.
Je viendrai revoir dans la brume vos lèvres . . .
Dans les soirs, où la chair et où l’âme défaillent,
où l’on craint que toute sa jeunesse ne s’en aille,
je songerai à vous, Madame de Noailles . . .