Vous vieillirez, ô ma belle maîtresse !
Vous vieillirez, et je ne serai plus.
Pour moi le temps semble, dans sa vitesse,
Compter deux fois les jours que j’ai perdus.
Survivez-moi ; mais que l’âge pénible
Vous trouve encor fidèle à mes leçons ;
Et bonne vieille, au coin d’un feu paisible,
De votre ami répétez les chansons.
Lorsque les yeux chercheront sous vos rides
Les traits charmants qui m’auront inspiré,
Des doux récits les jeunes gens avides
Diront : Quel fut cet ami tant pleuré ?
De mon amour peignez, s’il est possible,
L’ardeur, l’ivresse, et même les soupçons ;
Et bonne vieille, au coin d’un feu paisible,
De votre ami répétez les chansons.
On vous dira : Savait-il être aimable ?
Et sans rougir vous direz : Je l’aimais.
D’un trait méchant se montra-t-il capable ?
Avec orgueil vous répondrez : Jamais.
Ah ! dites bien qu’amoureux et sensible,
D’un luth joyeux il attendrit les sons ;
Et bonne vieille, au coin d’un feu paisible,
De votre ami répétez les chansons.
Vous que j’appris à pleurer sur la France,
Dites surtout aux fils des nouveaux preux
Que j’ai chanté la gloire et l’espérance
Pour consoler mon pays malheureux.
Rappelez-leur que l’aquilon terrible,
De nos lauriers a détruit vingt moissons ;
Et bonne vieille, au coin d’un feu paisible,
De votre ami répétez les chansons.
Objet chéri, quand mon renom futile,
De vos vieux ans charmera les douleurs ;
À mon portrait, quand votre main débile,
Chaque printemps, suspendra quelques fleurs,
Levez les yeux vers ce monde invisible
Où pour toujours nous nous réunissons ;
Et bonne vieille, au coin d’un feu paisible,
De votre ami répétez les chansons.