Non, le temps n’ôte rien aux choses.
Plus d’un portique à tort vanté
Dans ses lentes métamorphoses
Arrive enfin à la beauté.
Sur les monuments qu’on révère
Le temps jette un charme sévère
De leur façade à leur chevet.
Jamais, quoiqu’il brise et qu’il rouille,
La robe dont il les dépouille
Ne vaut celle qu’il leur revêt.
C’est le temps qui creuse une ride
Dans un claveau trop indigent;
Qui sur l’ange d’un marbre aride
Passe son pouce intelligent;
C’est lui qui, pour corriger l’oeuvre,
Mêle une vivante couleuvre
Aux noeuds d’une hydre de granit.
Je cois voir rire un toit gothique
Quand le temps dans la frise antique
Ote une pierre et met un nid!
Aussi, quand vous venez, c’est lui qui vous accueille;
Lui qui verse l’odeur du vague chèvrefeuille
Sur ce pavé souillé peut-être d’ossements;
Lui qui remplit d’oiseaux les sculptures farouches,
Met la vie en leurs flancs, et de leurs mornes bouches
Fait sortir mille cris charmants!
Si quelque Vénus toute nue
Gémit, pauvre marbre désert,
C’est lui, dans la verte avenue,
Qui la caresse et qui la sert.
A l’abri d’un porche héraldique
Sous un beau feuillage pudique
Il la cache jusqu’au nombril;
Et sous son pied blanc et superbe
Etend les mille fleurs de l’herbe,
Cette mosaïque d’avril!
La mémoire des morts demeure
Dans les monuments ruinés.
Là, douce et clémente, à toute heure,
Elle parle aux fronts inclinés.
Elle est là, dans l’âme affaissée
Filtrant de pensée en pensée,
Comme une nymphe au front dormant
Qui, seule sous l’obscure voûte
D’où son eau suinte goutte à goutte,
Penche son vase tristement!