Dans ces temps radieux, dans cette aube enchantée
Dieu! comme avec terreur leur mère épouvantée
Les eût contre son coeur pressés, pâle et sans voix,
Si quelque vision, troublant ces jours de fêtes,
Eût jeté tout à coup sur ces fragiles têtes
Ce cri terrible: — Enfants! vous serez rois tous trois!
Et la voix prophétique aurait pu dire encore:
" — Enfants, que votre aurore est une triste aurore!
Que les sceptres pour vous sont d’odieux présents!
D’où vient donc que le Dieu qui punit Babylone
Vous fait à pareille heure éclore au pied du trône?
Et qu’avez-vous donc fait, ô pauvres innocents?
Beaux enfants qu’on berce et qu’on flatte,
Tout surpris, vous si purs, si doux,
Que des vieux en robe écarlate
Viennent vous parler à genoux!
Quand les sévères Malesherbes
Ont relevé leurs fronts superbes,
Vous courez jouer dans les herbes,
Sans savoir que tout doit finir,
Et que votre race qui sombre
Porte à ses deux bouts couverts d’ombre
Ravaillac dans le passé sombre,
Robespierre dans l’avenir!
Dans ce Louvre où de vieux murs gardent
Les portraits des rois hasardeux,
Allez voir comme vous regardent
Charles premier et Jacques deux!
Sur vous un nuage s’étale.
Sol étranger, terre natale,
L’émeute, la guerre fatale,
Dévoreront vos jours maudits.
De vous trois, enfants sur qui pèse
L’antique masure française,
Le premier sera Louis seize,
Le dernier sera Charles dix!
Que l’aîné, peu crédule à la vie, à la gloire,
Au peuple ivre d’amour, sache d’une nuit noire
D’avance emplir son coeur de courage pourvu;
Qu’il rêve un ciel de pluie, un tombereau qui roule,
Et là-bas, tout au fond, au-dessus de la foule,
Quelque étrange échafaud dans la brume entrevu!
Frères par la naissance et par le malheur frères,
Les deux autres fuiront, battus des vents contraires.
Le règne de Louis, roi de quelques bannis,
Commence dans l’exil, celui de Charle y tombe.
L’un n’aura pas de sacre et l’autre pas de tombe.
A l’un Reims doit manquer, à l’autre Saint-Denisl!"