Viens, mon chien, viens, ma pauvre bête ;
Mange malgré mon désespoir.
Il me reste un gâteau de fête ;
Demain nous aurons du pain noir. (bis.)
Les étrangers, vainqueurs par ruse,
M’ont dit hier dans ce vallon :
« Fais-nous danser ! » Moi, je refuse ;
L’un d’eux brise mon violon.
C’était l’orchestre du village.
Plus de fêtes ! plus d’heureux jours !
Qui fera danser sous l’ombrage ?
Qui réveillera les Amours ?
Sa corde vivement pressée,
Dès l’aurore d’un jour bien doux,
Annonçait à la fiancée
Le cortège du jeune époux.
Aux curés qui l’osaient entendre
Nos danses causaient moins d’effroi.
La gaîté qu’il savait répandre
Eût déridé le front d’un roi.
S’il préluda, dans notre gloire,
Aux chants qu’elle nous inspirait,
Sur lui jamais pouvais-je croire
Que l’étranger se vengerait ?
Viens, mon chien, viens, ma pauvre bête ;
Mange malgré mon désespoir.
Il me reste un gâteau de fête ;
Demain nous aurons du pain noir.
Combien sous l’orme ou dans la grange
Le dimanche va sembler long !
Dieu bénira-t-il la vendange
Qu’on ouvrira sans violon ?
Il délassait des longs ouvrages,
Du pauvre étourdissait les maux ;
Des grands, des impôts, des orages,
Lui seul consolait nos hameaux.
Les haines, il les faisait taire ;
Les pleurs amers, il les séchait.
Jamais sceptre n’a fait sur terre
Autant de bien que mon archet.
Mais l’ennemi qu’il faut qu’on chasse
M’a rendu le courage aisé.
Qu’en mes mains un mousquet remplace
Le violon qu’il a brisé.
Tant d’amis dont je me sépare
Diront un jour, si je péris :
Il n’a point voulu qu’un barbare
Dansât gaîment sur nos débris.
Viens, mon chien, viens, ma pauvre bête ;
Mange malgré mon désespoir.
Il me reste un gâteau de fête ;
Demain nous aurons du pain noir.