Quand le poète peint l’enfer, il peint sa vie:
Sa vie, ombre qui fuit de spectres poursuivie;
Forêt mystérieuse où ses pas effrayés
S’égarent à tâtons hors des chemins frayés;
Noir voyage obstrué de rencontres difformes;
Spirale aux bords douteux, aux profondeurs énormes,
Dont les cercles hideux vont toujours plus avant
Dans une ombre où se meut l’enfer vague et vivant!
Cette rampe se perd dans la bruime indécise;
Au bas de chaque marche une plainte est assise,
Et l’on y voit passer avec un faible bruit
Des grincements de dents blancs dans la sombre nuit.
Là sont les visions, les rêves, les chimères;
Les yeux que la douleur change en sources amères,
L’amour, couple enlacé, triste, et toujours brûlant,
Qui dans un tourbillon passe une plaie au flanc;
Dans un coin la vengeance et la faim, soeurs impies,
Sur un crâne rongé côte à côte accroupies;
Puis la pâle misère au sourire appauvri;
L’ambition, l’orgueil, de soi-même nourri,
Et la luxure immonde, et l’avarice infâme,
Tous les manteaux de plomb dont peut se charger l’âme!
Plus loin, la lâcheté, la peur, la trahison
Offrant des clefs à vendre et goûtant du poison;
Et puis, plus bas encore, et tout au fond du gouffre,
Le masque grimaçant de la Haine qui souffre!
Oui, c’est bien là la vie, ô poète inspiré,
Et son chemin brumeux d’obstacles encombré.
Mais, pour que rien n’y manque, en cette route étroite
Vous nous montrez toujours debout à votre droite
Le génie au front calme, aux yeux pleins de rayons,
Le Virgile serein qui dit: Continuons!
6 août 1836