Telle qu’une bergère, au plus beau jour de fête,
De superbes rubis ne charge point sa tête,
Et, sans mêler à l’or l’éclat des diamans,
Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornemens;
Telle, aimable en son air, mais humble dans son style,
Doit éclater sans pompe une élégante idylle.
Son tour simple et naïf n’a rien de fastueux,
Et n’aime point l’orgueil d’un vers présomptueux.
Il faut que sa douceur flatte, chatouille, éveille,
Et jamais de grands mots n’épouvante l’oreille.
Mais souvent dans ce style un rimeur aux abois
Jette là, de dépit, la flûte et le hautbois;
Et, follement pompeux, dans sa verve indiscrète,
Au milieu d’une églogue entonne la trompette.
De peur de l’écouter, Pan fuit dans les roseaux,
Et les Nymphes, d’effroi, se cachent sous les eaux.
Au contraire cet autre, abject en son langage,
Fait parler ses bergers comme on parle au village
Toujours baisent la terre, et rampent tristement:
Ses vers plats et grossiers, dépouillés d’agrément,
On diroit que Ronsard, sur ses «pipeaux rustiques»,
Vient encor fredonner ses idylles gothiques,
Et changer, sans respect de l’oreille et du son,
Lycidas en Pierrot, et Philis en Toinon.
Entre ces deux excès la route est difficile.
Suivez, pour la trouver, Théocrite et Virgile:
Que leurs tendres écrits, par les Grâces dictés,
Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés.
Seuls, dans leurs doctes vers, ils pourront vous apprendre
Par quel art sans bassesse un auteur peut descendre;
Chanter Flore, les champs, Pomone, les vergers;
Au combat de la flûte animer deux bergers,
Des plaisirs de l’amour vanter la douce amorce;
Changer Narcisse en fleur, couvrir Daphné d’écorce;
Et par quel art encor l’églogue quelquefois
Rend dignes d’un consul la campagne et les bois.
Telle est de ce poëme et la force et la grâce.
D’un ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace,
La plaintive élégie, en longs habits de deuil,
Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil.
Elle peint des amans la joie et la tristesse;
Flatte, menace, irrite, apaise une maîtresse.
Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux,
C’est peu d’être poëte, il faut être amoureux.
Je hais ces vains auteurs, dont la muse forcée
M’entretient de ses feux, toujours froide et glacée;
Qui s’affligent par art, et, fous de sens rassis,
S’érigent pour rimer, en amoureux transis.
Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines.
Ils ne savent jamais que se charger de chaînes,
Que bénir leur martyre, adorer leur prison,
Et faire quereller les sens et la raison.
Ce n’étoit pas jadis sur ce ton ridicule
Qu’Amour dictoit les vers que soupiroit Tibulle,
Ou que, du tendre Ovide animant les doux sons,
Il donnoit de son art les charmantes leçons.
Il faut que le coeur seul parle dans l’élégie.
L’ode, avec plus d’éclat, et non moins d’énergie.
Élevant jusqu’au ciel son vol ambitieux,
Entretient dans ses vers commerce avec les dieux.
Aux athlètes dans Pise elle ouvre la barrière,
Chante un vainqueur poudreux au bout de la carrière,
Mène Achille sanglant au bord du Simoïs,
Ou fait fléchir l’Escaut sous le joug de Louis.
Tantôt comme une abeille ardente à son ouvrage,
Elle s’en va de fleurs dépouiller le rivage;
Elle peint les festins, les danses et les ris;
Vante un baiser cueilli sur les lèvres d’Iris,
«Qui mollement résiste, et, par un doux caprice,
«Quelquefois le refuse, afin qu’on le ravisse. »
Son style impétueux souvent marche au hasard.
Chez elle un beau désordre est un effet de l’art.
Loin ces rimeurs craintifs dont l’esprit flegmatique
Garde dans ses fureurs un ordre didactique;
Qui, chantant d’un héros les progrès éclatans,
Maigres historiens, suivront l’ordre des temps.
Ils n’osent un moment perdre un sujet de vue,
Pour prendre Dôle, il faut que Lille soit rendue;
Et que leur vers exact, ainsi que Mézerai,
Ait fait déjà tomber les remparts de Courtrai.
Apollon de son feu leur fut toujours avare.
On dit, à ce propos, qu’un jour ce dieu bizarre,
Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois,
Inventa du sonnet les rigoureuses lois;
Voulut qu’en deux quatrains de mesure pareille
La rime avec deux sons frappât huit fois l’oreille;
Et qu’ensuite six vers artistement rangés
Fussent en deux tercets par le sens partagés.
Surtout de ce poëme il bannit la licence:
Lui-même en mesura le nombre et la cadence;
Défendit qu’un vers foible y pût jamais entrer,
Ni qu’un mot déjà mis osât s’y remontrer.
Du reste il l’enrichit d’une beauté suprême:
Un sonnet sans défauts vaut seul un long poëme.
Mais en vain mille auteurs y pensent arriver;
Et cet heureux phénix est encore à trouver.
A peine dans Gombaut, Maynard et Malleville,
En peut-on admirer deux ou trois entre mille:
Le reste, aussi peu lu que ceux de Pelletier,
N’a fait de chez Sercy, qu’un saut chez l’épicier.
Pour enfermer son sens dans la borne prescrite,
La mesure est toujours trop longue et trop petite.
L’épigramme, plus libre en son tour plus borné,
N’est souvent qu’un bon mot de deux rimes orné.
Jadis de nos auteurs les pointes ignorées
Furent de l’Italie en nos vers attirées.
Le vulgaire, ébloui de leur faux agrément,
A ce nouvel appât courut avidement.
La faveur du public excitant leur audace,
Leur nombre impétueux inonda le Parnasse.
Le madrigal d’abord en fut enveloppé;
Le sonnet orgueilleux lui-même en fut frappé:
La tragédie en fit ses plus chères délices;
L’élégie en orna ses douloureux caprices;
Un héros sur la scène eut soin de s’en parer,
Et sans pointe un amant n’osa plus soupirer:
On vit tous les bergers, dans leurs plaintes nouveIIes,
Fidèles à la pointe encor plus qu’à leurs belles;
Chaque mot eut toujours deux visages divers:
La prose la reçut aussi bien que les vers;
L’avocat au palais en hérissa son style,
Et le docteur en chaire en sema l’Évangile.
La raison outragée enfin ouvrit les yeux,
La chassa pour jamais des discours sérieux;
Et, dans tous ces écrits la déclarant infâme,
Par grâce lui laissa l’entrée en l’épigramme
Pourvu que sa finesse, éclatant à propos,
Roulât sur la pensée, et non pas sur les mots.
Ainsi de toutes parts les désordres cessèrent.
Toutefois à la cour les Turlupins restèrent,
Insipides plaisans, bouffons infortunés,
D’un jeu de mots grossier partisans surannés.
Ce n’est pas quelquefois qu’une muse un peu fine
Sur un mot, en passant, ne joue et ne badine
Et d’un sens détourné n’abuse avec succès;
Mais fuyez sur ce point un ridicule excès
Et n’allez pas toujours d’une pointe frivole
Aiguiser par la queue une épigramme folle.
Tout poëme est brillant de sa propre beauté.
Le rondeau, né gaulois, a la naïveté.
La ballade, asservie à ses vieilles maximes
Souvent doit tout son lustre au caprice de rimes.
Le madrigal, plus simple et plus noble en son tour
Respire la douceur, la tendresse et l’amour.
L’ardeur de se montrer, et non pas de médire,
Arma la Vérité du vers de la satire.
Lucile le premier osa la faire voir
Aux vices des Romains présenta le miroir
Vengea l’humble vertu, de la richesse altière
Et l’honnête homme à pied, du faquin en litière.
Horace à cette aigreur mêla son enjoûment;
On ne fut plus ni fat ni sot impunément;
Et malheur à tout nom, qui, propre à la censure,
Put entrer dans un vers sans rompre la mesure!
Perse, en ses vers obscurs, mais serrés et pressans
Affecta d’enfermer moins de mots que de sens.
Juvénal, élevé dans les cris de l’école,
Poussa jusqu’à l’excès sa mordante hyperbole.
Ses ouvrages, tout pleins d’affreuses vérités,
Étincellent pourtant de sublimes beautés;
Soit que, sur un écrit arrivé de Caprée,
Il brise de Séjan la statue adorée;
Soit qu’il fasse au conseil courir les sénateurs,
D’un tyran soupçonneux pâles adulateurs;
Ou que, poussant à bout la luxure latine,
Aux portefaix de Rome il vende Messaline
Ses écrits pleins de feu partout brillent aux yeux.
De ces maîtres savans disciple ingénieux,
Régnier seul parmi nous formé sur leurs modèles
Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles.
Heureux, si ses discours, craints du chaste lecteur,
Ne se sentoient des lieux où fréquentoit l’auteur,
Et si, du son hardi de ses rimes cyniques,
Il n’alarmoit souvent les oreilles pudiques!
Le latin, dans les mots, brave l’honnêteté:
Mais le lecteur françois veut être respecté;
Du moindre sens impur la liberté l’outrage,
Si la pudeur des mots n’en adoucit l’image.
Je veux dans la satire un esprit de candeur,
Et fuis un effronté qui prêche la pudeur.
D’un trait de ce poëme en bons mots si fertile,
Le François, né malin, forma le vaudeville,
Agréable indiscret, qui, conduit par le chant,
Passe de bouche en bouche et s’accroît en marchant
La liberté françoise en ses vers se déploie.
Cet enfant de plaisir veut naître dans la joie.
Toutefois n’allez pas, goguenard dangereux,
Faire Dieu le sujet d’un badinage affreux.
A la fin tous ces jeux que l’athéisme élève,
Conduisent tristement le plaisant à la Grève.
Il faut, même en chansons, du bon sens et de l’art.
Mais pourtant on a vu le vin et le hasard
Inspirer quelquefois une muse grossière,
Et fournir, sans génie, un couplet à Linière.
Mais pour un vain bonheur qui vous a fait rimer,
Gardez qu’un sot orgueil ne vous vienne enfumer.
Souvent l’auteur altier de quelque chansonnette
Au même instant prend droit de se croire poète:
Il ne dormira plus qu’il n’ait fait un sonnet;
Il met tous les matins six impromptus au net.
Encore est-ce un miracle, en ses vagues furies,
Si bientôt, imprimant ses sottes rêveries,
Il ne se fait graver au-devant du recueil,
Couronné de lauriers par la main de Nanteuil.