La Bonne Filleou les Mœurs du temps1812Je sais fort bien que sur moi l’on babille, Que soi-disant J’ai le ton trop plaisant ; Mais cet air amusant Sied si bien à Camille ! Philosophe par goût, Et toujours et de toutJe ris, je ris, tant je suis bonne fille.Pour le théâtre ayant quitté l’aiguille, À mon début, Craignant quelque rebut, Je me livre en tribut Au censeur Mascarille, Et ce cuistre insolent Dénigre mon talent ;Mais moi j’en ris, tant je suis bonne fille.Un sénateur, qui toujours apostille, Dit : je voudrais Servir tes intérêts. Lors j’essaie à grands frais D’échauffer le vieux drille. Quoi qu’il fît espérer, Je n’en pus rien tirer ;Mais j’en ai ri, tant je suis bonne fille.Un chambellan, qui de clinquant pétille, Après qu’un jour Il m’eut fait voir la cour, Enrichit mon amour De ce jonc qui scintille. J’en fais voir le chaton : C’est du faux, me dit-on ;Et moi j’en ris, tant je suis bonne fille.Un bel esprit, beau de l’esprit qu’il pille, Grâce à moi fut Nommé de l’Institut. Quand des voix qu’il me dut Vient l’éclat dont il brille, Avec moi que de fois Il a manqué de voix !Mais j’en ai ri, tant je suis bonne fille.Un lycéen, qui sort de sa coquille, Tout triomphant, Dans ses bras m’étouffant, De me faire un enfant Me proteste qu’il grille ; Et le petit morveux, Au lieu d’un, m’en fait deux ;Mais moi j’en ris, tant je suis bonne fille.Trois auditeurs me disent : Viens, Camille, Soupe avec nous ; Que nous fassions les fous. J’étais seule pour tous : L’un d’eux me déshabille. Puis le vin met dedans Nos petits intendants ;Et moi j’en ris, tant je suis bonne fille.Telle est ma vie ; et sur mainte vétille J’aurais ici Pu glisser, Dieu merci ! Dans ses jupons aussi Je sais qu’on s’entortille ; Mais les restrictions, Mais les précautions,Moi je m’en ris, tant je suis bonne fille.